jeudi 22 février 2007

5.Les aveugles et le muet (suite).

...j'étais le grand muet et ma peur se traduisait par une volonté de contrôle absolu, à la fois de moi- même et des autres. Tout définir, tout comprendre, tout anticiper, tout prévoir...toute force engendre un force opposée, toute action engendre une contre-action toute parole est l'impulsion nécessaire à une parole qui lui fera écho...mais pourquoi les hommes éprouvent-ils à ce point le besoin de communiquer? Pourquoi ces flux et reflux, ces échanges de mots souvent creux, vides, gratuits...pourquoi se sentent-ils obligés d'échanger quelques trivialités sans intérêt à chaque fois qu'ils se croisent?
Pour se prouver qu'ils existent et s'estiment. Pour se prouver réciproquement qu'il ont de l'importance aux yeux de l'autre. Pour éviter de déambuler comme des fantômes incapables de trouver leur reflet dans les yeux des gens qu'ils croisent. Pour y déceler, ne serait-ce qu'une toute petite lueur narcissique...à bien y réfléchir, c'est nécessaire et vital à tout être...mais moi, du haut de mon savoir secret, de mon arrogance imperceptible qui prenait la couleur d'une dépression teintée d'amertume et de rancoeur, je ne savais pas ça. Je ne pouvais pas le vivre. Il n'existe pas d'évidence quand on se tient hors de tout. Il faut tout apprendre...
J'avais peur d'eux, j'étais incapable de comprendre les comportements innés de tous ces gens.
Je n'avais pas le mode d'emploi...et la prison se referme de plus en plus. On perd l'habitude de dire 'bonjour'. On perd l'habitude de demander 'comment ça va'. On perd l'habitude de s'intéresser à autre chose que notre propre souffrance. A quoi bon chercher autre chose si on ne peut en parler avec personne? Pourquoi accumuler des informations qui ne feront que nous encombrer? ça n'a pas de sens.
Un hermite n'a pas besoin de se tenir au courant puisqu'il ne fait pas partie du mouvement...et la vanité de toute chose devient beaucoup plus pesante que si on la partage avec ses contemporains...

Et à la fin de mes études, alors que cette fille venait de me quitter, j'étais bien en train de devenir un hermite: en Belgique, les études se poursuivent par un an de stage d'attente. Une année pendant laquelle vous êtes livré à vous-même sans aucun droit à une allocation quelconque...pour vous apprendre à attendre...en bon stagiaire, je retournai attendre chez mes parents...plus d'une année passée à étudier essentiellement Deleuze et Guattari, à m'informer sur l'art, et à édifier un volumineux dossier destiné à convaincre les galeristes bruxellois.
J'ai terminé le dossier. Je l'ai apporté à un galeriste......et je n'ai plus osé aller le rechercher.
Je ne l'ai récupéré qu'un an plus tard.
Un an à étudier dans l'isolement de la campagne. Un an à ne voir que ma famille....

J'ai tout oublié. Je savais regarder le monde. Je savais l'analyser. Je comprenais bien comment tout ça fonctionnait.....mais j'avais oublié comment dire 'bonjour' à quelqu'un.
J'avais oublié qu'on pouvait s'intéresser à autre chose qu' à des livres ou des informations abstraites...je suis retourné habiter à Bruxelles en me faisant violence....et je n'y connaissais plus personne. Le début à été rude....incroyablement rude. je me sentais perdu , paumé, seul et il me semblait impossible de faire connaissance ou d'aller vers ces gens qui me faisaient flipper à chaque fois qu'ils approchaient.....là, j'ai vraiment pété un plomb.
Je ne voyais qu'un ami de temps en temps....un autre, encore plus rarement.Et j'ai essayé de prendre des cours d'anglais que j'ai arrêté...je me balladais souvent seul en rue, parfois tard le soir. Je rentrais chez moi et je pleurais....ou je buvais afin de m'anesthésier. "-aujourd'hui, je me tire une bouteille de vodka dans la tête".....mais tout ça dégouline d'un pathos sur lequel je n'ai pas envie de m'attarder...

Donc, je ne savais plus rien du peu que j'avais acquis dans le domaine des relations humaines.
Les autres, c'est la grande inconnue....comme quand vous entrez dans une voiture pour la première fois afin d'apprendre à conduire. Comment ça marche?
Il faudra un peu de temps avant que tout ça ne devienne réflexe...il faudra un peu de temps et beaucoup de pratique...

Mais on en est encore loin...la période dont je vous parle était vide de sens, d'apprentissage et pleine des regards supposés malveillants du reste de la population.
Rétrospectivement, je trouve ça complètement fou....mais j'avais peur d'appeler mon ami aussi , et je ne le faisais qu'avec d'infinies précautions, en tremblant...et très rarement...faut pas déranger.

.J'entre dans un café pour rejoindre deux amis m'ayant invité. Il se lancent un regard complice en conversant: ils me trouvent idiot.
.Un des deux (celui que je connaissais le moins) termine son verre et nous quitte: je l'ennuie.
.En rue,j'aperçois un visage familier au loin: je change de direction.
. Un vendeur m'interpelle: je n'ai pas le temps.
.Je croise une fille dans la rue. Elle me regarde. Je la regarde. Je passe mon chemin...elle habite mon quartier. Je la croise une seconde fois?Une troisième, quatrième, nième fois....toujours le même scénario. Elle me plaît.....un jour, je la vois et là , c'est sûr, je vais aller lui parler, je la suis, je m'approche de plus en plus, je tremble de plus en plus. Tout mon corps n'est plus que tremblement. Je m'arrête. Je me hais. Je me sens révolté. Je rentre chez moi. Je vide une bouteille de vin blanc. Je lui écris un petit mot en y ajoutant mon numéro de téléphone. Je suis pété. Je vais glisser le papier dans sa boîte aux lettre. Le lendemain matin, je reçois un sms. Numéro inconnu. Je tremble instantanément. Je lis.:"hier, tu as laissé un drôle de message dans ma boîte aux lettres. Qui es-tu? "Je tremble terriblement. Je réponds, mais je n'appuie sur la touche 'envoyer' qu'en serrant les dents, en fermant les yeux, en me forçant à penser à autre chose....n'importe quoi, mais il faut appuyer!"
L'échange se poursuit. Les sms ne laissent pas percevoir l'anxiété. Ce n'est pas elle, c'est sa voisine. Je me suis trompé de boîte "je vois trop bien qui tu es! Laisse là tranquille!"

Je suis fou. Je suis complètement fou...

Parallèlement à ça, je commence à m'intéresser à la description théorique de la phobie sociale...termes découverts par hasard et dont je n'avais jamais entendu parler avant.

Je vais suivre une thérapie. Ce n'est plus possible. Je ne peux plus vivre comme ça.

mercredi 21 février 2007

4.Les aveugles et le muet.

Avant de continuer à raconter la merveilleuse histoire de mon ascension sociale, j'aimerais m'attarder un peu sur ce qu'est la phobie sociale, comment elle est vécue et comment elle est perçue par les autres. En gardant bien à l'esprit que je ne fais que me raconter et que tous les gens qui souffrent de ce que la psychologie appelle, en terme générique: 'phobie sociale', ne vivent pas forcément la même chose.....mais on fait quand-même partie d'un même 'genre' et mon histoire semblera probablement familière à toute personne ressentant la peur des autres....

Le phobique social est une personne qui est incapable de s'exprimer, qui intériorise tout, qui ne se sent pas digne d'être entendu, qui estime que ses problèmes n'intéressent personne, qu'il serait déplacé de les dévoiler, qui ne veut pas déranger, irriter, vexer, blesser, ni s'exposer, se révéler ou s'affirmer....alors son comportement engendre inévitablement une communication dysfonctionnelle. Il passe pour une personne calme, pleine de retenue, de maîtrise de soi, de sagesse, de gentillesse.....Il sait écouter. ça oui! ...il passerait même souvent des heures à écouter un angoissé lui déverser tous ses problèmes, ses craintes, ses échecs, ses amertumes dont il n'a que faire....mais ça l'arrange tellement de ne pas avoir à parler et de sentir que, quand-même, quelqu'un lui reconnaît cette qualité là: il est une oreille attentive.

D'un côté je suis un type calme, sage et observateur.
D'un autre côté je tremble, je me disloque, je me décompose, je perds jusqu'à la faculté de construire une phrase.
Voilà exactement le paradoxe et l'incompréhension dans lesquels doivent vivre tous les gens souffrant de phobie sociale:
il faut croire que les années de peur développée dans la cour de récréation, les années d'incapacité à communiquer entretenue par une famille en déséquillibre, complètement refermée sur elle-même, ne voyant pratiquement personne et faisant tout pour cacher les frasques éthyliques et suicidaires du père de famille car, mon Dieu.....que diraient les voisins!?...il faut croire,disais-je que cette accumulation d'angoisse, de peur, de tristesse, de déception, de blessures et d'amertume grossissait en moi comme une masse d'énergie qui, n'étant jamais libérée, menaçait d'exploser à chaque fois que mon corps se trouvait à une distance permettant la possibilité d'une communiction avec un(e) inconnu(e)...et plus je tentais l'approche, plus l'angoisse grandissait...ça se traduisait par un tremblement physique incontrôlable....les mains d'abord , les jambes ensuite , et par une inhibition qui m'empêchait de construire une phrase, même d'une extrême simplicité....car dans cet état là, tout ce que vous pourrez dire vous semble déjà grotesque au point qu'il vous devient impossible de le prononcer...et comme votre voix à suivi le reste de votre corps, vous ne pouvez plus le dire que maladroitement, avec la voix ridiculement tremblante , en ayant l'impression d'être l'extra-terrestre que personne ne va comprendre, qui va s'humilier lui-même tellement ses propos sont insipides et empreints, avec ça, d'une émotivité déplacée pour le peu d'importance de ses paroles.....autant ne rien dire!

"-Laurent....oh, il a toujours été calme. Il s'en fout laurent. Il s'en fout de tout....le jour où il s'en fera pour quelque chose vous savez....."

Et la révolte grandissait en moi comme une petite boule de neige lancée du haut d'une montagne....ça roule, ça grossit et puis c'est l'avalanche....ça ravage tout. ça détruit tout. Impossible de communiquer....de moins en moins....et du haut de cet orgueil d'enfant-roi, resté intact, je pouvais encore observer les dégats.....mais sans aveux, sans laisser tomber le masque. Je suis imperturbable, vous ne trouverez pas la faille. Vous ne trouverez pas de critique à formuler. Vous ne trouverez pas de raisons valables pour me rejeter, me railler, me toucher....
Je suis un type calme. Extrêmement posé, réfléchi, rationnel, souriant, ouvert, tolérant......pas le moindre petit défaut à vous mettre sous la dent...

Mais ces défauts, ces limites, ces maladresses, ces trous de mémoire, ces imperfections, ces jalousies parfois, étaient bien là....et ça faisait beaucoup de choses à cacher. Beaucoup trop.

La retenue grandissait, le nombre des tares, des défauts, des imperfections à cacher grandissait au point de ne plus former qu'une grande masse informe et unique constituant mon identité indéterminée inavouable , sinon au prix d'une lourde humiliation qui était la sanction promise à toute tentative un peu trop téméraire.....à partir de là, je craignais le regard de la boulangère, j'angoissais à l'idée d'aller louer un dvd au vidéoclub du coin, je tremblais en commendant un verre au bar, je déclinais les invitations, j'évitais les réunions, les vernissages, les rencontres de toutes natures, je fuyais les filles....

Dans un premier temps, vous enregistrez les blessures, les agressions, les humiliation....dans un deuxième temps, vous apprenez à vous méfier, vous anticipez et vous êtes extrêmement vigilent.
Dans un troisième temps, vous oubliez les causes de votre méfiance extrême....il reste juste une peur irrationnelle....mais vous n'y pouvez rien. Elle est là et vous savez que cest stupide, qu'il n'y a aucune raison d'avoir peur.....mais vous n'y pouvez rien. C'est comme ça. On n'arrête pas un corps qui tremble. On ne dompte pas un esprit qui se décompose...

Et du haut de mon orgueil toujours intact, je me détestais secrètement, je me méprisais avec un sourir bienveillant affiché sur le visage, je me détruisais lentement et je me punissais d'être incapable de m'ouvrir aux autres, de dialoguer sans avoir envie de fuir...

Car tout le drame du phobique social se touve bien là: il est incapable de communiquer normalement, de se plaindre, de critiquer, d'avouer ses faiblesses, ses indélicatesses ou ses torts....il en souffrira toujours car il ne percevra jamais cela comme étant 'la norme', mais plutôt comme autant de possibilité de se faire humilier...

J'étais l'enfant-roi, la perfection absolue et celui qui se devait d'être parfait.
J'étais le roi humilié, le torturé des cours de récréation.
J'étais le roi muet qui ne laisserait plus apparaître la moindre petite imperfection afin de ne pas trahir son inestimable orgueil...
Mais:
"-il s'en fout de tout Laurent....il est calme."

mardi 20 février 2007

3. La cour des fous.

...et je vins habiter à Bruxelles pour suivre des études en arts-plastiques, fermement décidé, du haut de mon insondable ignorance , à révolutionner le monde des arts comme d'autres l'avaient fait avant moi...et soudain de la cour homogènes des juges ordinaires je passai à la cour des épicuriens fous, des drogués, des alcoolos, des hommes-femmes, des femmes-hommes, des punks, des baroques, des dandys, des révoltés, des bourges, des trashs, des cools, des loufs, des m'a-tu-vu-quand-je-lance-de-le-peinture-sur-ma-toile et-que-je-suis-un-génie, des perdus, des auto-destructeurs, des expérimentateurs......et j'ai rapidement fait partie des intouchables.
Il m'était impossible de m'adapter, impossible de prouver quoi que ce soit car j'ai rapidement compris que ma médiocrité artistique valait la leur...impossible d'aller vers eux car les mécanismes de pensée qui définissent la phobie sociale ne faisaient que se renforcer, se durcir et me paralyser de plus en plus. Le moindre regard devenait un coup de poignard, la moindre parole était tenue à distance, évaluée et rejetée quand j'avais enfin détecté l'intention malsaine qu'elle cachait...inutile d'aller plus loin. C'est trop dangereux. Vous ne me voulez que du mal. Je préfère rester seul.
Et les mécanismes d'auto-observation se renforçaient également, car il ne s'agit pas de laisser transparaître la moindre faiblesse, la moindre maladresse, la moindre ignorance...Non!
Vous ne m'aurez pas. Je ne vous laisserai pas l'occasion de me critiquer, de me trouver stupide, de dévoiler mes faiblesses qui vous donneront l'occasion d'agir une fois de plus, comme tous les juges de récréation que vous êtes...

L'auto-observation , c'est ce mouvement de conscience qui oblige l'individu à surveiller , peser, évaluer chaque mot avant de le délivrer. Plus aucune spontanéïté n'est possible. Plus aucune opinion n'est exprimable à l'état brut.
Les mots sont des lames de rasoir qu'il faut manier avec une extrême prudence...à tel point que les mots deviennent des corps étrangers à nous-même que l'on accepte qu'après avoir pris d'immenses précautions...il 'mest souvent arrivé d'abandonner la phrase que j'avais envie de dire parce que c'était trop tard...la conversation était déjà trop avancée et mon intervention, soigneusement construite, évaluée, soignée n'avait plus sa place dans ce qui était en train de se dérouler et que je n'avais pas suivi, car j'étais arrêté sur ma phrase :"-Laurent, tu n'écoutes pas ce qu'on te dit! - Oh pardon..."
Mais quand je pouvais en placer une, elle était belle...une vraie belle phrase intelligente qui faisait un effet boeuf..."-il ne parle pas beaucoup, mais quand il parle, c'est pas pour rien."
Les citations bien placées font toujours beaucoup d'effet aussi. C'est sans risque, c'est labelisé, ça a déjà été reconnu et ça révèle une grande culture littéraire qui éveille la curiosité. On vous accorde plus de crédit quand vous citez ouvertement Pessoa , Michaux ou Artaud que quand vous reprenez leur parole sans révéler leur nom. Penser par proccuration, c'est plutôt bien vu, si ces noms sont bien brillants et que tout le monde peut les identifier comme les Rolls de l'intellect... "-ah oui, je connais....ce sont de grands hommes!" petite approbation ordinairement narcissique. On ne peut pas dévellopper mais on adhère au même club.

Et le temps des études se déroula avec beaucoup de difficultés...je buvais beaucoup, je dormais énormément, je ne parlais qu'aux gens qui habitaient dans le même communautaire que moi , et un jour ou plutôt un soir de beuverie, car l'alcool était le meilleur des remèdes. Je suis sorti avec une fille qu'un ami de ce communautaire m'avait présentée...enfin....un lendemain de grosse beuverie, j'ai touvé une fille dans mon lit.
J'avais 22 ans et c'était la première fois que ça m'arrivait. Il m'a fallu beaucoup de temps avant de me sentir à l'aise en sa présence, et jamais je n'ai pu m'exprimer ouvertement. Les reproches qu'elle pouvait parfois me faire étaient une véritable torture à laquelle j'étais incapable de répondre...et mon silence l'exaspérait toujours un peu plus:reproches. Mutisme. Reproches. Mutisme. Reproches. Mutisme. Adieu!
Notre relation a duré quinze mois et j'ai aujourd'hui le sentiment de m'être servi d'elle pour me protéger des autres...je ne le regrette pas mais je pense qu'on avait rien en commun.

Et toujours ces mots, ces mots qui blessent, qui griffent, qui torturent, qui culpabilisent, qui excluent, qui fatiguent, qui épuisent, qui tuent parfois.....
Mais pourquoi moi? Pourquoi suis-je aussi sensible au poids des mots?

La science moderne nous dit que la phobie sociale prends souvent racine sur un terrain physiologique particulièrement fécond. Le phobique social est souvent un hypersensible, une personne qui va ressentir les choses beaucoup plus vivement que les autres. un instrument destiné à mesurer la moindre petite variation d'humeur, d'agressivité, d'émotion chez les autres...
J'ai souvent eu l'impression que ce que les autres avaient assimilés, digérés, accépté de façon instinctive....moi, je devais l'apprendre. Tout était d'abord tenu à l'écart comme un menace. Tout est à vérifier avant de laisser passer. La douane est sévère.
Il n'est pas question de laisser entrer une marchandise non contrôlée...


"Il est tout rouge, renfrogné, il est si empoté, si empêtré... il n'y a ren à faire, il ne sait pas jouer... il y a en lui quelque chose... Mais qu'est-ce que c'est? Qu' y a-t-il en moi, Madame, dites-le moi...c'est quelque chose dont je ne m'aperçois pas, c'est comme une odeur que les autes sentent... je suis pourtant exactement pareil à eux. Tout pareil. Juste un peu timide. Cela me conduit parfois à être maladroit. A trop oser... C'est peut-être ça? C'est le sens du ridicule qui doit me manquer... aidez-moi, je voudrais savoir, je ne demande qu'à me corriger... elle soulève ses lèvres molles qui se retroussent très haut, dénuant ses gencives...Oui. Il est bien certain que vous faites inadapté...

Je suis perdu, j'ai peur, je suis seul dans le camp ennemi... sans défense... protégez-moi, j'ai été déposé dans une région dont j'ignore les coutumes, les lois... il y a là un mystère... une menace cachée... peronne ne veut m'éclairer... -c'est vrai, vous ne savez pas. Ce sont des choses poutant qu'on sait de naissance. ça ne s'apprend pas. Ou plutôt on apprend cela tout naturellement, sans en être conscient, comme on apprend à se tenir debout ou à parler. Mais vous, c'est vrai, vous faites inadapté."{ Nathalie Sarraute: 'Entre la vie et la mort'}

lundi 19 février 2007

2.L'enfant-roi de no man's land.

Il faudra probablement que je fasse preuve d'une humilité contre nature pour rédiger ce qui va suivre, mais un homme qui revoit son orgueil à la baisse est un homme qui cherche à respecter ses voisins autant que lui-même et qui choisit de vivre en paix sans juger ni se sentir jugé...
L'ego est au centre de toutes les relations et son hypertrophie comme son atrophie en détermine la nature...

Alors voilà: j'ai grandi dans le monde ouvrier, comme une enfant-roi surprotégé à qui rien ne pouvait être refusé, sauf la reconnaissance paternelle et le modèle comportemental que ce père était censé constituer...
J'ai grandi comme si je ne devais rien à personne et comme si tout m'était dù...j'ai grandi dans une sphère d'illusions imperméable aux réalités sociales que je devrais rencontrer plus tard.
La vie était belle. L'enfance était joyeuse et insouciante, malgré cette petite tâche dans la conscience qui grandissait petit à petit, à chaque nouvelle tentative de suicide de mon père...car j'étais le roi d'un pays où Dieu était un alcoolique dépressif chronique...
Et la sanction était là...plutôt vague au début...plutôt mêlée à la compassion qu'un enfant éprouve pour son père à qui il reste attaché et qu'il admire profondément...mais Dieu disait, lentement, insidieusement, année après année et sans discontinuer:"-je suis ton père, ton géniteur, ton créateur...et tu ne me donnes même pas l'envie de vivre."

Et l'enfant-roi était déjà en train de s'effondrer, d'imploser, de se ronger de l'intérieur sans que personne ne s'en aperçoive...
Tout ce que j'ai entrepris, tout ce que j'ai commencé, créé, construit, Dieu l'a ignoré.
Tout ce que j'ai entrepris, je l'ai abandonné dès que le manque de soutien ou de reconnaissance paternel devenait évident et mon identié se constuisait déjà sur une succession d'échecs, et sur cette phrase qui revenait immanquablement à chaque nouvelle tentative:"-de toute façon, dans deux mois tu vas arrêter..." . Bien entendu, j'arrêtais...comment continuer quoi que ce soit quand l'être qui est au-dessus de tout vous dit que vous n'en êtes pas capable. Il avait raison.Je n'avais pas à discuter. J'étais un incapable...et l'absence de mes parents dans la salle, quand je participais à un concert avec la maladroite fanfare du village, me prouvait à quel point mon activité était inintéressante...mais à ce moment là j'étais déjà adolescent, mon visage bourgeonnait, mon regard se bovinisait, mes cheveux se graissaient et un duvet grotesque que je ne rasais pas, par peur de paraître trop attentif à mon image me poussait sur les joues.......l'enfant-roi allait commencer à apprendre qu'il n'était pas au centre de tout, que l'excessive attention de sa mère ne pourrait plus rien pour lui, qu'il n'était plus ce petit garçon timide,beau, attirant et malin que les adultes aimaient tant...l'adolescence me transformait en crétin disgrâcieux et je commençais tout doucement à ressentir le regard inamical des juges de cours de récréation.
L'enfant-roi du désert voyait son territoire se peupler de tortionnaires, de bourreaux, de sadiques et de railleurs, moqueurs, mesquins, critiques....j'étais à la tête d'un pays occupé uniquement par mes propres ennemis...toujours aussi orgueilleux, toujours aussi secrètement fier, je savais qu'un jour je leur prouverais ma valeur, mais je mettais en place un système de pensée qui consistait à prévoir le rejet, la critique, la méchanceté gratuite de mes semblables à mon égard...je devais me préserver et je ne pouvais le faire qu'en anticipant la violence orale des autres.....anisi, tout doucement, la timidité se transformait en phobie sociale....j'étais un incapable aux yeux de mon père, une merde sans intérêt dans la cour de récré et d'un orgueil bien trop grand pour moi-même...ne pas être à la hauteur de son propre orgueil est une source de souffrance terrible pour un homme...surtout quand le monde entier semble vous confirmer que vous ne l'êtes pas.Heureusement il y avait ma mère pour me protéger, me réconforter et m'isoler du reste du monde...il y avait ma mère pour m'aider à faire de moi un inadapté en comblant le manque affectif qu'engendrait sa vie conjugale....

dimanche 18 février 2007

1.Silence et tremblements.

Je vais mieux. je ne flippe plus. je ne fuis plus. je ne panique plus. je n'évite plus les gens afin de ne pas avoir à leur parler. Je ne déteste plus croiser mon reflet dans un miroir. Je ne me méprise plus. Je ne me détruis plus. Je ne hais plus la planète entière. Je n'essaie plus de me faire détester avant que les autres le fasse, afin d'exister au moins par le rejet. Je commence à vivre un peu et je peux parler à la première personne sans avoir l'impression de me donner trop d'importance...
Et si je commence ce blog c'est que j'éprouve le besoin de jeter tout ce que je cache à la meute afin de m'en débarrasser une fois pour toute, car je pleure encore un peu trop souvent sur moi-même et j'ai le sentiment que l'acceptation de mon passé et de mon comportement de misanthrope par les gens que je cotoie, que j'apprécie ou que j'aime me délivrera de ces crises de larme...si ils ne l'acceptent pas, au moins, ils sauront...
Mais j'ai longuement hésité avant de commencer la rédaction tellement personnelle de ce texte. Je ne veux pas m'apitoyer sur moi-même, je ne veux pas de compassion, je ne veux pas me retrouver face à des regards de chiens battus posés sur ma condition de victime auto-proclamée...et je ne veux pas embarrasser les gens qui croyaient me connaître et découvriront que le mépris affiché ne cachait qu'une peur insurmontable...car le diagnostique existe et il tient en deux mots:
'Phobie sociale'...j'ai découvert l'existence de ces mots voilà plus d'un an. Je me suis très rapidement reconnu mais je ne l'ai pas accepté immédiatement...il m'a fallu deux ou trois mois avant d'étudier la question un peu plus profondément et encore un peu de temps avant de contacter une thérapeute cognitiviste et comportementaliste...'phobie sociale' sont des termes bien commodes pour décrire un gros sac de noeuds névrotiques qui révèlent une attitude, une réaction de peur et d'inhibition face aux gens rencontrés, mais ça ne révèle aucune cause car elles sont différentes et à découvrir chez chaque individu...elles sont à la fois physiologiques et culturelles...hypersensibilité, cognitions...j'y reviendrai.
MA phobie sociale,comme celle de chaque phobique, est bien singulière mais elle ne fait pas partie de mon identité. Bien au contraire : elle m'empêche de me révéler tel que je suis vraiment et elle m'empêche de m'exprimer comme je le voudrais. Elle me paralyse et me sclérose au point d'en suffoquer et de ne pouvoir m'exprimer comme je le voudrais...mais c'est du passé et je n'en parle au présent que par habitude. On ne se débarrasse pas d'une habitude aussi facilement...même de la plus mauvaise. Quand elle est adoptée, la pire des souffrances devient un repère auquel on tient ...car on ne sais pas contre quoi on pourrait la troquer et ça, c'est flippant...mais je vais mieux. Je ne suis plus phobique social....mais qui suis-je? Quel sont mes désirs? Suis-je certain de pouvoir être autre-chose que ce que j'ai toujours été? Suis-je vraiment capable d'assumer cette nouvelle liberté qui se présente à moi et qui, vue d'ici, ne représente qu'un grand gouffre, qu'un grand vide à combler...?

Je me prénomme Laurent, j'aurai 33 ans le 9 mars 2007 , je n'ai jamais travaillé. J'ai végété en me cachant derrière le prétexte que je voulais être artiste et rien d'autre...mais j'ai toujours eu peur de me retrouver devant un employeur qui allait m'évaluer et j'ai peur du travail lui-même... j'ai beaucoup plus de souvenirs de ce qui aurait pu se passer que de souvenirs de choses vécues....je me souviens de filles avec qui j'aurais pu vivre un idylle ou juste un bon moment et que j'ai évitées après les avoir regardé. Je me souviens avoir évité pas mal de sorties entre potes grâce à des prétextes bidons. Je me souviens avoir pris les petites rues du centre ville, parallèles à l'artère principale, afin de pas croiser de gens que je connaissais. Je me souviens ne pas m'être rendu à un Rendez-vous avec une fille que j'avais embrassée en soirée et m'être fait jeter ensuite...et je me souviens avoir vécu de véritables crises de paranoïa, en boîte où j'observais les gens parlant de moi en collant leurs bouches à l'oreille de leur interlocuteur...ou dans ma chambre d'étudiant, en collant mon oreille à la porte pour essayer de comprendre ce que les autres étudiants disaient de moi...
Mais jamais je n'ai révélé de telles choses car je savais très bien que je délirais totalement et j'avais assez de lucidité pour n'en laisser rien paraître...alors, je feignais, je souriais, et je buvais quand l'envie de mourir devenait trop pesante...

Je prends déjà un peu de recul et me demande pourquoi j'écris tout ça.....je crois simplement que c'est nécessaire si je veux donner une idée assez précise de ce que je suis aujourd'hui, au gens que je fréquente...ça fait partie d'une progression dont ce blog est , je l'espère, la dernière étape, car de tout cela il reste un type solitaire, distant, voire froid qui ne va que très difficilement vers les autres et reste égoïstement concentré sur ses petits objectifs de proximité et porte des oeillères afin d'éviter la contagion...

Qu'est-ce que la phobie sociale? ...le peur d'être jugé, jaugé, évalué, rejeté, critiqué, raillé.... la peur de voir le reflet de notre être diforme dans les yeux de l'autre....la peur de trouver chez l'autre, la confirmation de notre médiocrité, de notre bêtise, de notre inintérêt , de notre grand vide existentiel.....perception dysfonctionnelle: si je ne m'aime pas, je ne peux pas imaginer que d'autres puissent m'aimer, si je me déteste, je ne peux pas imaginer qu'il puisse en être autrement pour les autres. Donc: si je me déteste, les autres me détestent. Si je me touve con et sans intérêt, le reste de la planète me trouve con et sans intérêt.
Mettez-vous dans la peau d'un type qui est rejeté et raillé par le reste de la planète et vous aurez une idée assez précise de ce que vit un phobique social....mais il est le seul architecte de cet édifice mental. Le phobique social s'invente une planète d'où il est rejeté. Il en souffre réellement et se met à trembler face aux inconnus qui ne sont jamais perçus comme bienveillants...

La phobie sociale, c'est la sur-évaluation de ce que les autres attendent de nous, la sous-évaluation de ce que l'on peut ou de ce que l'on vaut, c'est l'interprétation des réactions ou paroles des autres en notre défaveur et c'est une auto-observation constante qui nous oblige à surveiller la moindre de nos paroles comme si elle avait une importance vitale...