mardi 20 février 2007

3. La cour des fous.

...et je vins habiter à Bruxelles pour suivre des études en arts-plastiques, fermement décidé, du haut de mon insondable ignorance , à révolutionner le monde des arts comme d'autres l'avaient fait avant moi...et soudain de la cour homogènes des juges ordinaires je passai à la cour des épicuriens fous, des drogués, des alcoolos, des hommes-femmes, des femmes-hommes, des punks, des baroques, des dandys, des révoltés, des bourges, des trashs, des cools, des loufs, des m'a-tu-vu-quand-je-lance-de-le-peinture-sur-ma-toile et-que-je-suis-un-génie, des perdus, des auto-destructeurs, des expérimentateurs......et j'ai rapidement fait partie des intouchables.
Il m'était impossible de m'adapter, impossible de prouver quoi que ce soit car j'ai rapidement compris que ma médiocrité artistique valait la leur...impossible d'aller vers eux car les mécanismes de pensée qui définissent la phobie sociale ne faisaient que se renforcer, se durcir et me paralyser de plus en plus. Le moindre regard devenait un coup de poignard, la moindre parole était tenue à distance, évaluée et rejetée quand j'avais enfin détecté l'intention malsaine qu'elle cachait...inutile d'aller plus loin. C'est trop dangereux. Vous ne me voulez que du mal. Je préfère rester seul.
Et les mécanismes d'auto-observation se renforçaient également, car il ne s'agit pas de laisser transparaître la moindre faiblesse, la moindre maladresse, la moindre ignorance...Non!
Vous ne m'aurez pas. Je ne vous laisserai pas l'occasion de me critiquer, de me trouver stupide, de dévoiler mes faiblesses qui vous donneront l'occasion d'agir une fois de plus, comme tous les juges de récréation que vous êtes...

L'auto-observation , c'est ce mouvement de conscience qui oblige l'individu à surveiller , peser, évaluer chaque mot avant de le délivrer. Plus aucune spontanéïté n'est possible. Plus aucune opinion n'est exprimable à l'état brut.
Les mots sont des lames de rasoir qu'il faut manier avec une extrême prudence...à tel point que les mots deviennent des corps étrangers à nous-même que l'on accepte qu'après avoir pris d'immenses précautions...il 'mest souvent arrivé d'abandonner la phrase que j'avais envie de dire parce que c'était trop tard...la conversation était déjà trop avancée et mon intervention, soigneusement construite, évaluée, soignée n'avait plus sa place dans ce qui était en train de se dérouler et que je n'avais pas suivi, car j'étais arrêté sur ma phrase :"-Laurent, tu n'écoutes pas ce qu'on te dit! - Oh pardon..."
Mais quand je pouvais en placer une, elle était belle...une vraie belle phrase intelligente qui faisait un effet boeuf..."-il ne parle pas beaucoup, mais quand il parle, c'est pas pour rien."
Les citations bien placées font toujours beaucoup d'effet aussi. C'est sans risque, c'est labelisé, ça a déjà été reconnu et ça révèle une grande culture littéraire qui éveille la curiosité. On vous accorde plus de crédit quand vous citez ouvertement Pessoa , Michaux ou Artaud que quand vous reprenez leur parole sans révéler leur nom. Penser par proccuration, c'est plutôt bien vu, si ces noms sont bien brillants et que tout le monde peut les identifier comme les Rolls de l'intellect... "-ah oui, je connais....ce sont de grands hommes!" petite approbation ordinairement narcissique. On ne peut pas dévellopper mais on adhère au même club.

Et le temps des études se déroula avec beaucoup de difficultés...je buvais beaucoup, je dormais énormément, je ne parlais qu'aux gens qui habitaient dans le même communautaire que moi , et un jour ou plutôt un soir de beuverie, car l'alcool était le meilleur des remèdes. Je suis sorti avec une fille qu'un ami de ce communautaire m'avait présentée...enfin....un lendemain de grosse beuverie, j'ai touvé une fille dans mon lit.
J'avais 22 ans et c'était la première fois que ça m'arrivait. Il m'a fallu beaucoup de temps avant de me sentir à l'aise en sa présence, et jamais je n'ai pu m'exprimer ouvertement. Les reproches qu'elle pouvait parfois me faire étaient une véritable torture à laquelle j'étais incapable de répondre...et mon silence l'exaspérait toujours un peu plus:reproches. Mutisme. Reproches. Mutisme. Reproches. Mutisme. Adieu!
Notre relation a duré quinze mois et j'ai aujourd'hui le sentiment de m'être servi d'elle pour me protéger des autres...je ne le regrette pas mais je pense qu'on avait rien en commun.

Et toujours ces mots, ces mots qui blessent, qui griffent, qui torturent, qui culpabilisent, qui excluent, qui fatiguent, qui épuisent, qui tuent parfois.....
Mais pourquoi moi? Pourquoi suis-je aussi sensible au poids des mots?

La science moderne nous dit que la phobie sociale prends souvent racine sur un terrain physiologique particulièrement fécond. Le phobique social est souvent un hypersensible, une personne qui va ressentir les choses beaucoup plus vivement que les autres. un instrument destiné à mesurer la moindre petite variation d'humeur, d'agressivité, d'émotion chez les autres...
J'ai souvent eu l'impression que ce que les autres avaient assimilés, digérés, accépté de façon instinctive....moi, je devais l'apprendre. Tout était d'abord tenu à l'écart comme un menace. Tout est à vérifier avant de laisser passer. La douane est sévère.
Il n'est pas question de laisser entrer une marchandise non contrôlée...


"Il est tout rouge, renfrogné, il est si empoté, si empêtré... il n'y a ren à faire, il ne sait pas jouer... il y a en lui quelque chose... Mais qu'est-ce que c'est? Qu' y a-t-il en moi, Madame, dites-le moi...c'est quelque chose dont je ne m'aperçois pas, c'est comme une odeur que les autes sentent... je suis pourtant exactement pareil à eux. Tout pareil. Juste un peu timide. Cela me conduit parfois à être maladroit. A trop oser... C'est peut-être ça? C'est le sens du ridicule qui doit me manquer... aidez-moi, je voudrais savoir, je ne demande qu'à me corriger... elle soulève ses lèvres molles qui se retroussent très haut, dénuant ses gencives...Oui. Il est bien certain que vous faites inadapté...

Je suis perdu, j'ai peur, je suis seul dans le camp ennemi... sans défense... protégez-moi, j'ai été déposé dans une région dont j'ignore les coutumes, les lois... il y a là un mystère... une menace cachée... peronne ne veut m'éclairer... -c'est vrai, vous ne savez pas. Ce sont des choses poutant qu'on sait de naissance. ça ne s'apprend pas. Ou plutôt on apprend cela tout naturellement, sans en être conscient, comme on apprend à se tenir debout ou à parler. Mais vous, c'est vrai, vous faites inadapté."{ Nathalie Sarraute: 'Entre la vie et la mort'}

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