mercredi 21 février 2007

4.Les aveugles et le muet.

Avant de continuer à raconter la merveilleuse histoire de mon ascension sociale, j'aimerais m'attarder un peu sur ce qu'est la phobie sociale, comment elle est vécue et comment elle est perçue par les autres. En gardant bien à l'esprit que je ne fais que me raconter et que tous les gens qui souffrent de ce que la psychologie appelle, en terme générique: 'phobie sociale', ne vivent pas forcément la même chose.....mais on fait quand-même partie d'un même 'genre' et mon histoire semblera probablement familière à toute personne ressentant la peur des autres....

Le phobique social est une personne qui est incapable de s'exprimer, qui intériorise tout, qui ne se sent pas digne d'être entendu, qui estime que ses problèmes n'intéressent personne, qu'il serait déplacé de les dévoiler, qui ne veut pas déranger, irriter, vexer, blesser, ni s'exposer, se révéler ou s'affirmer....alors son comportement engendre inévitablement une communication dysfonctionnelle. Il passe pour une personne calme, pleine de retenue, de maîtrise de soi, de sagesse, de gentillesse.....Il sait écouter. ça oui! ...il passerait même souvent des heures à écouter un angoissé lui déverser tous ses problèmes, ses craintes, ses échecs, ses amertumes dont il n'a que faire....mais ça l'arrange tellement de ne pas avoir à parler et de sentir que, quand-même, quelqu'un lui reconnaît cette qualité là: il est une oreille attentive.

D'un côté je suis un type calme, sage et observateur.
D'un autre côté je tremble, je me disloque, je me décompose, je perds jusqu'à la faculté de construire une phrase.
Voilà exactement le paradoxe et l'incompréhension dans lesquels doivent vivre tous les gens souffrant de phobie sociale:
il faut croire que les années de peur développée dans la cour de récréation, les années d'incapacité à communiquer entretenue par une famille en déséquillibre, complètement refermée sur elle-même, ne voyant pratiquement personne et faisant tout pour cacher les frasques éthyliques et suicidaires du père de famille car, mon Dieu.....que diraient les voisins!?...il faut croire,disais-je que cette accumulation d'angoisse, de peur, de tristesse, de déception, de blessures et d'amertume grossissait en moi comme une masse d'énergie qui, n'étant jamais libérée, menaçait d'exploser à chaque fois que mon corps se trouvait à une distance permettant la possibilité d'une communiction avec un(e) inconnu(e)...et plus je tentais l'approche, plus l'angoisse grandissait...ça se traduisait par un tremblement physique incontrôlable....les mains d'abord , les jambes ensuite , et par une inhibition qui m'empêchait de construire une phrase, même d'une extrême simplicité....car dans cet état là, tout ce que vous pourrez dire vous semble déjà grotesque au point qu'il vous devient impossible de le prononcer...et comme votre voix à suivi le reste de votre corps, vous ne pouvez plus le dire que maladroitement, avec la voix ridiculement tremblante , en ayant l'impression d'être l'extra-terrestre que personne ne va comprendre, qui va s'humilier lui-même tellement ses propos sont insipides et empreints, avec ça, d'une émotivité déplacée pour le peu d'importance de ses paroles.....autant ne rien dire!

"-Laurent....oh, il a toujours été calme. Il s'en fout laurent. Il s'en fout de tout....le jour où il s'en fera pour quelque chose vous savez....."

Et la révolte grandissait en moi comme une petite boule de neige lancée du haut d'une montagne....ça roule, ça grossit et puis c'est l'avalanche....ça ravage tout. ça détruit tout. Impossible de communiquer....de moins en moins....et du haut de cet orgueil d'enfant-roi, resté intact, je pouvais encore observer les dégats.....mais sans aveux, sans laisser tomber le masque. Je suis imperturbable, vous ne trouverez pas la faille. Vous ne trouverez pas de critique à formuler. Vous ne trouverez pas de raisons valables pour me rejeter, me railler, me toucher....
Je suis un type calme. Extrêmement posé, réfléchi, rationnel, souriant, ouvert, tolérant......pas le moindre petit défaut à vous mettre sous la dent...

Mais ces défauts, ces limites, ces maladresses, ces trous de mémoire, ces imperfections, ces jalousies parfois, étaient bien là....et ça faisait beaucoup de choses à cacher. Beaucoup trop.

La retenue grandissait, le nombre des tares, des défauts, des imperfections à cacher grandissait au point de ne plus former qu'une grande masse informe et unique constituant mon identité indéterminée inavouable , sinon au prix d'une lourde humiliation qui était la sanction promise à toute tentative un peu trop téméraire.....à partir de là, je craignais le regard de la boulangère, j'angoissais à l'idée d'aller louer un dvd au vidéoclub du coin, je tremblais en commendant un verre au bar, je déclinais les invitations, j'évitais les réunions, les vernissages, les rencontres de toutes natures, je fuyais les filles....

Dans un premier temps, vous enregistrez les blessures, les agressions, les humiliation....dans un deuxième temps, vous apprenez à vous méfier, vous anticipez et vous êtes extrêmement vigilent.
Dans un troisième temps, vous oubliez les causes de votre méfiance extrême....il reste juste une peur irrationnelle....mais vous n'y pouvez rien. Elle est là et vous savez que cest stupide, qu'il n'y a aucune raison d'avoir peur.....mais vous n'y pouvez rien. C'est comme ça. On n'arrête pas un corps qui tremble. On ne dompte pas un esprit qui se décompose...

Et du haut de mon orgueil toujours intact, je me détestais secrètement, je me méprisais avec un sourir bienveillant affiché sur le visage, je me détruisais lentement et je me punissais d'être incapable de m'ouvrir aux autres, de dialoguer sans avoir envie de fuir...

Car tout le drame du phobique social se touve bien là: il est incapable de communiquer normalement, de se plaindre, de critiquer, d'avouer ses faiblesses, ses indélicatesses ou ses torts....il en souffrira toujours car il ne percevra jamais cela comme étant 'la norme', mais plutôt comme autant de possibilité de se faire humilier...

J'étais l'enfant-roi, la perfection absolue et celui qui se devait d'être parfait.
J'étais le roi humilié, le torturé des cours de récréation.
J'étais le roi muet qui ne laisserait plus apparaître la moindre petite imperfection afin de ne pas trahir son inestimable orgueil...
Mais:
"-il s'en fout de tout Laurent....il est calme."

2 commentaires:

Anonyme a dit…

"-Laurent....oh, il a toujours été calme. Il s'en fout laurent. Il s'en fout de tout....le jour où il s'en fera pour quelque chose vous savez....."

C'est incroyable comme je me retrouve dans ces textes... Ce passage en particulier me touche. Une phrase trop souvent entendue de la bouche de ma mère surtout... Pensant cela de moi comment pourrait-elle comprendre que mes problèmes ne viennent pas de ce que je ne m'en fait pas mais bien du contraire ?

Anonyme a dit…

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